Simple contrôle de routine, n'est-ce pas ? [PV]

Encore une soirée comme les autres au Bellagio. Les gens défilent devant mes yeux, me saluent ou font comme si je n'étais pas là. Ils vont et viennent pour dépenser leur argent, qu'il soit ou non durement gagné. Peu importe, ils viennent juste pour jouer et prendre du bon temps. Ils dilapident toute leur fortune, ruinent leur famille, se font des dettes faramineuses qu'ils essaient de rattraper en jouant d'autant plus. Ah, que j'aime le casino ! Étrange n'est-ce pas ? Je ne peux pas dire que je sois une joueuse. De toute façon, lorsque je prends le risque, je gagne à tous les coups. Quelles malhonnête, me direz-vous, et vous avez raison. J'use de mon statut de démon pour ne pas perdre jusqu'au plus petit centime. C'est extrêmement pratique. Mais pour être franche, si j'aime autant le casino, c'est pour observer ces pitoyables insectes à l'oeuvre. L'être humain est fascinant par sa grande stupidité. Il peut être au bout du rouleau, mais ne lâchera pas l'affaire, pensant pouvoir se rattraper au coup suivant. Que de désillusions pour des être si primitifs. S'ils avaient la moindre idée de ce qui se tramait dans leur dos, ils ne s'inquièteraient pas autant de leur bonne figure et de leur fortune. A quoi bon venir se faire remarquer quand on sait qu'on ne va pas faire long feu sur cette fichue planète ? Certains viendront pour prendre du bon temps pour la dernière fois, bien que je ne vois pas en quoi claquer son argent est si jouissif. J'ai du mal à comprendre les personnes qui le font, mais je ne cherche pas plus loin. Après tout, le buisness, c'est le buisness, et du moment que ça me fait gagner ma vie, ça m'importe peu. Eh bien oui, je ne suis pas du genre à m'en faire pour la pauvre petite vie de monsieur et madame tout le monde. Ils font ce qu'ils veulent. On pourrait me qualifier d'opportuniste, et ce n'est pas tout à fait faux. Disons que je profite de toute occasion d'améliorer ma vie, ma condition, et celles d'autres démons qui pourraient m'aider. Et puis surtout, je le fais pour mon père. Il m'a tout appris, s'est toujours occupé de moi, je lui dois bien ça. Je travaille pour lui, et je me dois de ne laisser passer aucune erreur.

Tiens, si j'allais faire un petit contrôle à la salle de jeu ? Cela fait maintenant plusieurs heures que je ne m'y suis pas rendue. Peut-être que quelqu'un aura besoin de moi, qui sait. Mieux vaut aller s'en assurer. C'est donc vêtue d'un pantalon noir moulant et d'un chemise blanche classe et sexy à la fois, que je me rends dans la salle. Les cheveux soigneusement attachés, je parcours la salle en faisant claquer de mes talons aiguilles. J'ai de la classe n'est-ce pas ? Osez me dire le contraire ? Armée de mon badge officiel d'assistante, je m'en vais saluer les gens, donner quelques directives aux différents croupiers pour que la soirée se passe pour le mieux. C'est à ce moment que je sens un regard posé sur moi. C'est une sensation que je ressens fréquemment depuis quelques temps. Peut-être parce que cet hôtel grouille de démons et d'employés à mes ordres. Et puis je ne suis pas sans savoir que des chasseurs nous recherchent. Ils ne savent pas encore à qui on ressemble, mais nous non plus, donc il nous faut exiger la plus grande prudence de tout le monde.
Mon regard se tourne quelques fractions de secondes en direction d'une table de Black Jack un peu plus loin. J'y reconnais aisément la croupière. Elle fait partie des démons de l'hôtel et elle a été engagée avant que mon père ne m'appelle pour venir l'aider. Je fais comme si je ne l'avais pas remarquée puis me déplace vers d'autres clients, mon habituel sourire aux lèvres. Ça en devient presque fatigant, mais vu que je dois le faire chaque minute de chaque jour, l'habitude commence à prendre place. Et puis le paraître ne m'a jamais posé beaucoup de problèmes pour obtenir ce que je veux. Un petit sourire de plus ou de moins n'y changera rien. Un petit compliment, et le tour est joué. Table suivante. Tiens, je peux me rendre vers la jeune femme de tout à l'heure. Kate si je ne me trompe pas. Je le vérifierai sur son badge s'il le faut. Je me faufile à travers les clients, m'approche discrètement par derrière puis annonce d'une voix emprunte de gaieté :

- Bonjour Messieurs, tout se passe bien ?

De très riches clients, il ne faut surtout pas les faire patienter. Ils sont très réguliers d'après leurs fiches et contribuent beaucoup au financement des plus grande suites de l'hôtel. Mais il n'y a pas de quoi s'en faire, Miss Davies est une très bonne employée. Tout aussi douée pour afficher un sourire digne des plus grandes pubs Colgate. Elle ne m'a pas vue arriver et fait maintenant comme si elle ne m'avait pas remarquée. Ou plutôt, elle ne se laisse pas déconcentrer de son boulot. Je discute quelques secondes avec l'un des clients sur le confort de l'hôtel qui lui semble parfait, comme d'habitude, puis m'adresse à la brunette. Si je ne me trompe pas, elle doit avoir mon âge. Ça ne doit pas être facile de recevoir des ordres de quelqu'un du même âge que soi. Encore moins lorsque cette personne aime faire de l'ombre aux autres. Et je dois bien l'avouer, c'est mon cas. Je ne m'en cache pas.

- Eh bien Mademoiselle Davies, vous avez l'air fatiguée. Depuis combien d'heures travaillez-vous ?

Évidemment, je parlais de façon à ce que seule Kate puisse m'entendre. Ce genre de discussions ne fait pas bonne figure devant les clients. Et puis, les employés n'avaient pas le droit d'être fatigués. Il faisaient autant partis du décor que le reste de l'hôtel. Ils étaient là pour servir les clients, pas pour se reposer. Et c'était un bon prétexte pour discuter avec elle, j'avais besoin de prendre contact avec la plupart des démons de l'hôtel pour de simples recommandations ou mises en garde. La routine quoi.

Kate reste totalement concentrée. Elle aurait tout aussi bien pu se retourner pour me répondre, me regarder droit dans les yeux pour me faire comprendre que je la gênais. Mais non. Elle fait la bonne employée, elle reste concentrée à la fois sur son travail et sur ce que je lui dis. Elle n'est pas un démon pour rien elle non plus. Après trois heures de temps, certains perdent leur concentration. En jetant un oeil sur ma montre, je me rends compte qu'il est déjà aux alentours de 22h et que cette chère mademoiselle Davies doit être assoiffée. Mais même si j'ai besoin de lui parler, je la laisse encore à son poste. Du moins pour un moment. Une façon d'essayer de la tester ? Peut-être. Peut-être aussi que j'ai simplement envie de profiter un peu de mon statut de "patron". J'avoue que je prends plaisir à me dire que les employés de l'hôtel n'ont pas leur mot à dire quand je suis là. Et puis les ordres sont à suivre à la lettre au Bellagio, sous peine d'être viré sans possibilité de revenir. Beaucoup postulent pour venir y travailler et il faut l'élite, c'est pourquoi il ne faut pas se gêner de renvoyer les personnes qui font la moindre erreur. Il y a toujours du monde derrière pour la place, alors pas de deuxième chance. Les seuls qui pourraient éventuellement bénéficier d'une deuxième chance sont les démons qui nécessitent une couverture pour rester au Bellagio. Les autres, c'est même pas la peine d'y penser. Eh oui, sur ce point, je suis impitoyable. Il ne faut pas s'attendre à ce que je sois compatissante, c'est la dernière chose qui me viendrait à l'esprit. Pleurer sur le sort de pauvres petits employés, très peu pour moi. Au contraire, il m'arrive même d'en rire. Je me délecte de leur mine dépitée. Non, ce n'est pas humain, vous avez raison. C'est simplement un comportement digne de la fille d'un des plus grands démons qui existe à ce jour. En tout cas, vous ne viendrez pas vous plaindre que je ne vous ai pas prévenus.

Les clients ont l'air contents. C'est normal, le Bellagio est l'un des meilleurs hôtels de Las Vegas. Le meilleur même. Et les employés, comme dit tout à l'heure, sont l'élite de la ville. Il est tout à fait logique que les clients s'y plaisent, tout est mis à leur disposition sur un plateau doré, à condition qu'il y ait quelques billets verts en retour. C'est comme ça ici. Les affaires, toujours les affaires. On ne vit que pour ça ici, personne n'osera me dire le contraire. D'un regard perçant, j'observe Kate dans son travail. Probablement sent-elle mon regard posé sur le moindre de ses mouvements. Ça me plaît d'avoir le contrôle comme ça sur quelqu'un. Sentir que la personne ne veut pas vous décevoir et qu'elle craint de faire un seul faux pas. Le sourire ne quitte pas mes lèvres, je fais mine de m'intéresser un moment à la partie qui se déroule sous mes yeux. Tout cela se passe plutôt rapidement. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, on peut tout perdre. Il suffit de miser trop gros sur une mauvaise main, et le tour était joué.
Bien, comme je n'ai pas que ça à faire, je me décide enfin à faire ce pour quoi j'étais là. Je devais parler à Kate, certes, mais pas du travail qu'elle effectuait en ce moment-même. C'est pourquoi il ne fallait pas lui en parler devant les clients. Certains ont de très bonnes oreilles lorsqu'il s'agit de curiosité mal placée.

- Vous savez, trois heures c'est beaucoup. Je pense que vous pouvez vous accorder une petite pause.

D'un geste de la main, j'appelle l'un des croupiers qui allait justement prendre sa pause, remplacé par quelqu'un d'autre. Il s'approche d'un air inquiet, interrogateur.

- Vous allez remplacé Mlle Davies le temps d'une courte pause. Ce ne sera pas long.

Il paraît scandalisé d'une telle demande mais n'ose pas répliquer. Sûrement était-il là depuis bien plus longtemps que Kate, mais peu importe. J'ai dit vrai, je n'ai besoin que de quelques minutes et il serait libre d'aller prendre sa pause ou de rentrer chez lui comme bon lui semble. Suivie de la jeune femme, je me dirige vers le fond de la salle, à une table entourée de fauteuil de velours rouge, confortables. Je m'assieds sur l'un d'eux, croisant une jambe sur l'autre. Un serveur s'approche mais il n'a pas le temps d'ouvrir la bouche.

- Je prendrai un Martini avec deux glaçons. Et pour vous Kate ? Qu'est-ce que ce sera ?

Tant qu'à parler affaires, autant le faire autour d'un petit verre. Et la table à la quelle nous nous sommes installées est un peu éloignée des autres. Aucune oreille indiscrète ne pourrait entendre notre petite conversation. On aura juste l'air d'une employée et de son supérieur en train de boire un verre.

Vous vous doutez bien que je n'ai pas proposé à Kate d'aller boire un verre simplement comme ça, sans raison, sur un coup de tête. Ce n'était de loin pas l'envie de m'en faire une amie qui m'avait amenée jusqu'ici, bien qu'au départ, je l'avoue, ce n'était pas pour elle que j'étais venue dans la salle de jeux. C'était un simple contrôle de routine comme on dit. Mais cette rencontre imprévue tombait à pic. Évidemment, étant la fille du Patron, et de l'hôtel, et de tous les démons qui y résident, j'ai en quelques sortes un double emploi. Et les employés comme Kate n'avaient pas droit qu'aux petites recommandations habituelles et autres sermons en tout genre. Et vu son statut, elle pouvait même avoir quelques privilèges parfois. Comme dit tout à l'heure, elle a beaucoup moins de chances de se faire renvoyer. Tout simplement parce qu'on a besoin d'un maximum de démons pour essayer d'ouvrir cette porte. Tant qu'ils restent "sages" et qu'ils font ce qu'on leur dit, notre travail sera bientôt terminé. Ce n'est plus qu'une question de temps. Et il ne faut surtout pas en perdre, vu le nombre de chasseurs qui accourent ces temps-ci. Je n'en ai encore croisé aucun, heureusement. Mais je ne sais pas non plus qui ils sont. Je sens simplement qu'ils sont là, à nous traquer, tout autant qu'on essaie de les éviter. En dehors de quelques exceptions. Et une exception, j'en ai une devant moi, mais elle a bien de la chance que je ne sois encore au courant de rien. Eh oui, chez moi, la traîtrise est encore pire qu'une confrontation directe. Les chasseurs je ne les aime pas, mais eux au moins, je sais qu'ils ne souhaitent qu'une seule chose ; nous renvoyer en enfer. Tandis qu'un démon qui nous trahit, c'est bien pire. Dans ces cas-là, je hais l'hypocrisie. Je fais peut-être semblant de sourire aux clients à longueur de journée, mais je suis au moins directe avec ceux de mon clan. Même un démon que je n'aime pas, même si je le lui fais sentir, je ne le livrerais jamais à "l'ennemi". C'est comme ça. On est une grande famille et on se soutient, malgré les différends qu'il peut y avoir entre nous.

Une fois assises, je remarque que l'autre croupier a pris la place de Kate, un sourire bien en évidence pour plaire aux clients. Je sens qu'il me hait, mais tant pis. De toute façon on ne peut pas dire que beaucoup de monde m'apprécie. Et puis il n'a pas à se plaindre, ce n'est que pour quelques instants. Le serveur se retire pour aller chercher les verres de Martini et j'en profite pour m'installer confortablement. De là où je suis, j'ai une vue d'ensemble sur la salle de jeux, mais on est assez à l'écart pour que personne ne surprenne notre conversation. Cependant, je ne dis rien. J'attends que le serveur nous amène les commandes pour dire quoi que ce soit. Ce serait trop risqué que quelqu'un nous entende, même le plus futile des serveurs. Ce serait embêté s'il était de mèche avec un chasseur ou s'il en était un lui-même. Par contre, Kate a apparemment moins de patience. Elle commence une phrase, et sachant très bien de quoi elle veut parler, je la fais taire d'un regard. Enfin, nos verres arrivent et je fais signe au serveur qu'il peut disposer. Ce qui sous-entend qu'il n'a pas intérêt à venir nous déranger tant que je ne le lui demande pas. Me redressant légèrement dans le fauteuil, je bois une gorgée de mon Martini. Puis enfin, je décide d'entamer les choses plus sérieuses. J'affiche tout de même un mince sourire, de politesse. Après tout, Kate est une alliée, ou en tout cas elle est censée l'être.

- Non, toujours rien. Ça avance, mais lentement. Cependant, ce n'est pas tout à fait de ça que je veux vous parler.

Je continue de la vouvoyer par principe. Dans cette salle, à ce moment, je suis encore sa supérieure et non pas une amie ou une alliée. Alors je continue de me comporter comme tel, bien que je n'ai pas l'habitude de vouvoyer les démons lorsque je leur parle de notre projet. Et bien que ça ne concernait pas expressément la porte, c'était quelque chose qui avait un lien avec le surnaturel. Un regard autour de moi pour m'assurer que personne ne peut entendre, je bois une seconde gorgée de mon verre puis le repose sur la table, faisant légèrement tinter les glaçons. Enfin je poursuis de manière naturelle.

- Je dois vous prévenir, vous et les autres "employés", que l'on suspecte l'arrivée de quelques...parasites dans les alentours de l'hôtel.

Par parasites, je parle bien évidemment ces chasseurs qui rôdent en ce moment. Mais mieux vaut pour moi de rester discrète quant aux termes que j'utilise. Je préfère que les gens pensent qu'il y a des parasites dans l'hôtel que de me faire surprendre par l'un d'eux. Je m'avance à peine pour ajouter simplement :

- J'aimerais beaucoup que vous veniez nous prévenir si jamais il vous arrivait d'en apercevoir un. Et si vous en avez l'occasion, profitez-en pour...l'éliminer. Mais tout ça dans le plus grande discrétion bien entendu.